Photographie : Guillaume Perret

« C’était marrant trois semaines, mais là y en a marre ! » : entre frustration et persévérance, portrait d’une étudiante de propédeutique

#humansofpandemics. Mai 2021. Poursuivre des études universitaires était une évidence pour Julia, cette étudiante en sciences sociales de 21 ans, qui est actuellement en train de terminer sa propédeutique à l’Université de Lausanne. En effet, Julia a toujours aimé l’école et aimé apprendre, mais elle n’était pas sûre de la faculté qu’elle voulait intégrer. Une chose était toutefois sûre pour elle, elle ne se voyait pas entrer directement dans la vie professionnelle après l’école obligatoire. Elle est d’ailleurs la seule personne de sa famille à avoir voulu faire des études académiques. Le choix d’entamer un Bachelor en sciences sociales a été un déclic pour cette passionnée du monde de la culture, un déclic qui s’est produit lors des présentations des différentes facultés de l’Université de Lausanne, durant la journée portes ouvertes proposée à tou.te.s les gymnasien.ne.s. Elle ne connaissait pas la faculté des SSP avant cette journée, mais la présentation des enseignements qui y sont dispensés a été un moment décisif pour elle: « C’est ça qu’il faut que je fasse, c’est clairement ce que je vais kiffer ». Elle avait vraiment hâte de commencer ses études universitaires.

Depuis sa chambre d’adolescente, ornée de divers posters sur les murs qui rappellent cette période de sa vie, dans la maison qu’elle partage avec sa mère et sa sœur, elle me raconte son parcours scolaire. Notre discussion se déroule via l’application Zoom étant donné qu’elle habite dans le canton de Fribourg. Depuis le début des cours en ligne, elle ne fait pas les trajets jusqu’à Lausanne et reste chez elle. Elle s’était préparée mentalement au fait que sa première année à l’université se déroulerait presque entièrement en ligne. Cela n’a plus rien de nouveau pour elle puisque sa dernière année de Gymnase a été complètement chamboulée par l’arrivée du COVID-19. En effet, le 16 mars 2020, les autorités fribourgeoises ont annoncé la fermeture des écoles du secondaire supérieur et le début des cours à distance. Au début, Julia a plutôt bien vécu cette annonce. Hormis l’étrangeté de la situation, elle a profité de cette période pour se reposer et passer du temps avec ses ami.e.s. Ces dernier.e.s se sont vu.e.s quasiment tous les jours depuis le début de la pandémie et iels se sont ainsi beaucoup rapproché.e.s. Ensemble, iels ont traversé les moments difficiles et se sont remonté le moral chacun à leur tour. Mais le fait d’avoir les cours à distance était également l’occasion d’avoir plus de temps pour réviser pour la maturité. Puis, quand elle a appris que les étudiant.e.s ne pourraient pas réintégrer les salles de cours en mai, Julia a commencé à désenchanter. La soirée de terminale, le cortège, le voyage d’études, toutes ces expériences emblématiques de la vie gymnasienne lui sont en quelque sorte volées. La lassitude s’installe : « c’était marrant trois semaines, mais là y en a marre ! ». Pire, les examens finaux sont annulés, une moyenne générale des résultats obtenus durant l’année déterminant finalement l’obtention ou non des certificats de maturité gymnasiale et de culture générale. Même si elle a obtenu sa maturité, Julia aurait préféré passer ses examens car elle se sent maintenant peu préparée à ses premiers examens universitaires.

Son quotidien depuis le début de l’année propédeutique est assez monotone et elle peine à se rappeler des détails, chaque jour étant assez similaire au précédent. Certains de ses cours se déroulent selon la modalité « co-modale », c’est-à-dire un système d’enseignement hybride avec une partie des étudiant.e.s en présentiel et l’autre à distance; le reste de ses cours et séminaires ont lieu en ligne. Bien qu’elle essaie de suivre le plus possible de cours en direct, elle éprouve parfois de la peine à se lever le matin. Elle s’appuie ainsi sur les enregistrements des séances pour suivre l’entièreté de ses cours. Bien qu’elle apprécie le fait d’être physiquement sur le campus universitaire, elle ne trouve pas toujours la force de se rendre aux quelques cours donnés en présentiel. A force d’être confinée chez elle pendant si longtemps, une certaine léthargie s’est instaurée chez elle mais aussi chez les autres étudiant.e.s. Une de ses ami.e.s qui est à l’université traverse même une période de dépression et n’arrive plus du tout à suivre les cours. Cela semble être l’expérience de pas mal d’autres étudiant.e.s, selon elle. Bien qu’elle soit lassée par l’incertitude de la situation, Julia persévère : « C’est difficile parce que personne ne sait. Mais bon, on n’a pas le choix. ». Depuis l’arrivée de l’été, elle se sent quand même de mieux en mieux.

A part les ami.e.s que Julia possédaient avant le début de la pandémie, il lui a été difficile de créer des amitiés depuis le début de l’année. Il est difficile de faire des rencontres à l’université puisque les cours à distance ne sont pas propices au rapprochement entre étudiant.e.s. Les interactions avec les professeur.e.s et les autres étudiant.e.s sont ainsi presque inexistantes, ce qui l’attriste, surtout quand elle se rappelle les témoignages enthousiastes de deux de ses meilleures amies, qui ont intégré l’université une année avant elle. Les principaux contacts qu’elle a avec les étudiant.e.s de sa volée se font lors de travaux de groupe ou via un groupe Whatsapp qui a été mis en place par les étudiant.e.s de première année et qui permet de recueillir les impressions des uns et des autres. Pour elle, cela ne remplace en rien les rencontres dans la « vraie vie » et elle se réjouit de retrouver une vie « normale ». En attendant, Julia continue à passer du temps avec ses ami.e.s et sa famille. Elle a d’ailleurs vu sa famille de manière régulière malgré la pandémie, y compris sa grand-mère qui n’avait pas peur d’attraper le virus. Julia me raconte que cette dernière n’a pas peur de la mort parce qu’elle a déjà vécu sa vie et qu’elle préfère continuer à voir ses proches. Du coup, elle ne s’est pas particulièrement inquiétée pour elle; après tout, on ne peut pas fuir la mort.

La manière dont Julia envisage son avenir n’a pas été affectée par la pandémie; elle souhaite aller au bout de ses études et aimerait travailler dans le domaine de la culture – de préférence dans la programmation et l’organisation de festivals. Même si sa deuxième année devait de nouveau avoir lieu à distance, elle essaiera d’aller jusqu’au bout car elle ne veut pas avoir fait tout ça pour rien. Les enseignements de sciences sociales lui plaisent, bien qu’elle n’aime pas les cours en ligne et que l’isolement commence à lui peser. Mais quitte à devoir rester à la maison, elle préfère avoir quelque chose à faire. Quant à ses examens qui approchent, elle ressent une grande inquiétude puisqu’il s’agit des premiers examens qu’elle passe à l’université. La plupart d’entre eux se dérouleront en ligne et cela la rassure un peu car il s’agira plutôt de répondre à des questions que de rédiger des dissertations en entier. « On verra bien… » me dit-elle en souriant.

Sophie Mottier