#humansofpandemics. Printemps 2020. On nous promettait le plus bel âge, l’Université comme les plus belles années de notre vie, le campus de Lausanne comme incroyable. Mais voilà que je débute mes études à l’Université de Lausanne à la rentrée 2020. Entre septembre et décembre, je me suis rendue sur le campus seulement trois fois, et celui-ci avait l’air mort. On s’esquive, on écoute son cours à trois chaises de distance de son voisin puis on rentre à la maison dans un train bondé.

J’ai 20 ans et j’ai l’impression de vivre comme une personne âgée. Ma seule compagnie durant ces longues journées d’hiver est mon chat : heureusement qu’il est là.

C’est une période difficile. Je n’ai aucune motivation à me lever de mon lit pour, 5 mètres plus loin, m’asseoir sur ma chaise et regarder des cours, que j’adore pourtant, sur un écran. Je prends du retard, et même si je n’ai que ça à faire, je n’arrive pas à le rattraper. Le temps n’est plus, la joie de vivre non plus. 

Je vais mieux mais j’ai traversé une période compliquée. Mon père est malade et la peur du virus m’a empêché de voir ma famille pendant 6 mois. Et voilà maintenant une année que je n’ai pas pu prendre mon père dans les bras. Mais à qui en vouloir ? Nous avons tous les deux très peur. On se prive de contact, alors que mon petit frère et ma petite sœur passent leurs journées dans des classes bondées, mal aérées et font une heure de train chaque jour pour se rendre en cours. Pourtant, ils mangent ensemble tous les soirs, formant cette bizarre unité familiale close sur elle-même et qui semble se définir, en temps de covid, par le seul fait de la constance dans la coprésence. Du coup, c’est moi qui me prive de contact, alors que je croise beaucoup moins de personnes qu’eux ; je ne croise pour ainsi dire que la vendeuse du magasin du village où j’habite.

Au début de l’année 2020, je me disais que ce serait mon année. Que tout ce que je n’avais pas eu le courage de faire avant, c’est en 2020 que je le ferai : sortir, rencontrer des gens, voyager. J’ai été privée de tout cela. Je me suis faite des amis sur WhatsApp. Cela fait six mois qu’on échange sur les cours tous les jours, qu’on devient proche alors qu’on ne s’est jamais vu. Qu’adviendra-t-il de ces relations virtuelles ? Vont-elles pouvoir, une fois les rencontres en face à face à nouveau possibles, se transformer en relations amicales durables ?

Mon job de serveuse me plaisait beaucoup ; surtout, il rythmait mes semaines et mes journées, m’obligeait à travailler mes cours entre deux services et me permettait d’organiser mon temps. Trop de temps tue le temps. Aujourd’hui, je n’ai plus la chance de faire rire le vieux monsieur qui venait manger seul tous les midis. Et lui, d’ailleurs, comment va-t-il ?

J’ai écopé d’une rage, d’une envie de rejeter la faute sur tout le monde, alors que je ne suis pas comme ça. En faisant mes examens, je me disais que si je les ratais, ce serait de la faute à l’État, au COVID, à l’Université, à mon voisin. Et pourtant, je savais et je sais que c’est en partie ma responsabilité de réussir.

Peut-être qu’on nous a tellement rabâché la solidarité pour sauver la société que nous nous sommes oubliés sur le plan personnel. Qu’on a tellement parlé de la santé de notre société qu’on a oublié de préserver la nôtre. À force de parler de nous, j’en ai oublié mon je.

Mais ça va mieux. J’ai profité de cette période compliquée et de ces sentiments nouveaux pour les comprendre et les apprivoiser. Je les ai transformés en force. En février, j’ai attaqué mon deuxième semestre pleine de bonnes résolutions, décidée à faire mon possible pour que 2021 soit bel et bien mon année.

Charlyne Gogniat

Ce témoignage nous a été partagé par le site Co-vies20