#humansofpandemics. 16.03.2021. La dernière fois que je t’ai vu m’a bouleversée. Ils t’avaient réveillé. Naïvement, je pensais que du moment que tu entrais dans le coma c’était fini, plus de souffrance : soit tu t’en sors et on te réveille en chantant, soit tu t’endors. Mais non, ils t’ont réveillé sans savoir ce qu’il se passerait. Tu dormais au début et puis j’ai mis Caterina Valente comme à chaque fois ; tu t’es mis à bouger un peu ; tes lèvres ont commencé à s’agiter comme pour chanter et tu as ouvert les yeux. Je n’avais jamais vu une telle détresse.

Je suis partie de cette chambre d’hôpital en tremblant, tu me regardais, je voulais rester – tu voulais que je reste – mais on ne rigole pas avec les mesures COVID ; il faudra attendre deux jours pour qu’un nouveau membre de la famille puisse venir à ton chevet durant trente minutes. Je te laisse au milieu de cette solitude : « Au revoir mon Grand-Papounet… ». Je ravale mes larmes, c’est rare que je sois aussi proche de craquer mais les émotions en public ce n’est pas mon truc.

Je ne l’aime pas cette infirmière qui m’a dit ce jour-là que tu allais t’en sortir et que tu remontais gentiment la pente. C’était pour me réconforter parce que j’avais compris que tu souffrais, que tu voulais partir ? Je n’y croyais pas mais elle m’a redonné espoir. Je sors de l’hôpital, je digère ce qu’elle vient de me dire et puis je m’emballe. Groupe WhatsApp de la famille. Je me lâche : « Il va s’en sortir ! C’est bon ! l’infirmière en est persuadée !!! »

Tu es mort quelques jours plus tard et depuis je suis hantée par la détresse de ton regard. Il faudra que j’efface cette image pour retrouver mes souvenirs d’enfance, quand tout était si simple.

Je m’en veux car je n’ai pas cessé de t’encourager ce jour-là alors que toi tu ne pouvais pas parler. Je t’ai imposé mon optimisme feint alors que tu voulais seulement que je te dise que tu pouvais t’en aller ; j’en suis sûre maintenant et je le savais déjà à cet instant même si c’était trop douloureux de me l’avouer. J’ai honte de ces derniers instant, j’aurai dû… j’aurai pu…

Quand ils nous ont dit que c’était fini, qu’ils allaient te maintenir en vie quelques jours pour que Grand-Maman puisse te voir une dernière fois, j’ai commencé à organiser tes funérailles. Le Monsieur des pompes funèbres m’a dit que c’était un peu bizarre. Tant pis ! c’est tout ce qu’il me reste à t’offrir. D’ailleurs ça c’est encore un de nos petits secrets, cet enterrement on l’avait préparé ensemble, l’été passé, en riant sur une terrasse ensoleillée.  C’était un exercice pour mon cours d’officiante laïque ; je voulais t’interviewer, connaître ta vie, en garder une trace.

Je ne m’imaginais pas, ce beau jour d’été, que ce que nous faisions était si important et que ce serait si dur d’officier avec ton corps dans un cercueil à mes côtés.

Ariane Mérillat